Houssem connaît Chypre comme sa poche... Depuis plusieurs années, ce guide local francophone d’origine tunisienne accompagne les petits groupes de Nomade Aventure à travers cette grande île de la Méditerranée orientale. De paysages variés en vestiges antiques superbement conservés, il leur révèle l’âme profonde du pays et tous ses trésors. Dans cet article, il revient sur son parcours atypique, sa manière bien à lui de faire « vivre » Chypre aux voyageurs - entre randonnée, rencontre et patrimoine culturel - et nous livre sa vision authentique du métier de guide.
De la Tunisie à Chypre, itinéraire d’un guide passionné
Tunisien d’origine, c’est après des études universitaires en Allemagne et la rencontre avec une Chypriote turque, que Houssem s’installe à Chypre, dans la région de Kyrenia au nord de l’île il y a une vingtaine d’années : « J’ai commencé mon parcours à Chypre parce que j’y ai trouvé l’amour mais aussi par amour du pays, car on peut le dire il ne faut pas se donner beaucoup de mal pour aimer cette île » confie-t-il avec tendresse. Souhaitant partager sa passion pour Chypre, il devient guide professionnel en 2018 et accompagne désormais les petits groupes (entre 3 et 15 participants) de voyageurs Nomade à Chypre du Nord. Animé par cette volonté de transmettre, quel que soit le terrain, Houssem continue de se former et d’élargir ses horizons. « Je viens d'obtenir une carte de guide-conférencier en France, qui est valable pour toute l'Europe et je suis en train de postuler pour avoir une carte de guide licencié en Tunisie » ajoute-t-il.
Chypre grandeur nature dans les pas de Houssem…
Une île au carrefour des cultures et des religions
Posée sur le bleu de la Méditerranée, dans le bassin Levantin, entre l’Occident et l’Orient, Chypre est avant tout un véritable terrain de jeu pour les passionnés d’histoire. Terre de naissance de la déesse Aphrodite, elle offre un patrimoine vieux de 10 000 ans et a connu de multiples influences culturelles, comme aime à le raconter Houssem aux voyageurs : « Jusqu’au Moyen Âge, Chypre a eu une histoire assez homogène au nord et au sud. C’est avec les croisades au XIIe siècle que les choses se sont complexifiées. » Le nord, plus proche des terres saintes et de l’Anatolie, la Turquie actuelle, devient un enjeu stratégique pour les croisés français, en particulier la dynastie des Lusignan. « Ces catholiques ont occupé le nord pendant 300 ans, à l’époque de l’art gothique. On trouve d’ailleurs encore deux cathédrales gothiques remarquables à Nicosie et Famagouste, les deux seules encore intactes hors du monde occidental » poursuit Houssem avant d’ajouter que « pour construire une cathédrale, il faut l'argent, la paix et le temps. Et ce n'est qu'à Chypre, que ces trois éléments ont été réunis pendant les croisades. »
Le sud, quant à lui, est plus marqué par l’héritage byzantin de l’Église orthodoxe chypriote, autocéphale et riche d’une belle tradition de fresques et de mosaïques : «... notamment dans les montagnes du Tróodos, où dix églises byzantines sont inscrites au patrimoine mondial par l’Unesco » énumère Houssem. Enfin, le territoire compte aussi de nombreuses mosquées dont certaines construites à l’arrivée des Ottomans, ces Turcs musulmans à l’origine d’une nouvelle vague d’homogénéisation entre 1571 et 1878. Puis, vint l’ère moderne, avec la guerre de 1974 qui va diviser l’île en deux parties, sud et nord.
Top 3 des coups de cœur de Houssem à Chypre
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Des aventures pour tous les goûts et niveaux
Sur cette terre d’histoires et de légendes, Houssem encadre deux types de voyage avec Nomade Aventure : « Je guide des petits groupes de randonnée de niveau dynamique, sans que cela soit de la performance. On marche jusqu’à 16 km, soit 6h par jour, avec 300 à 700 m de dénivelé en moyenne » précise-t-il. Pour les marcheurs occasionnels, d’autres circuits proposent des balades plus accessibles : « On a aussi des programmes plus culturels avec de petites randonnées de 1h à 2h, dont certaines sont optionnelles. » Quel que soit le niveau ou la région parcourue, chaque voyage à Chypre est composé autour de contrastes marquants : « On essaie de respecter un équilibre entre la découverte culturelle, comme la visite de sites antiques, d’églises, de mosquées et celle naturelle avec les randonnées » indique Houssem.
Les voyageurs oscillent souvent entre deux mondes, rural et citadin : « Une partie du voyage se passe dans un petit village, soit à l’ouest, soit à l’est du pays, avec des rencontres, des activités comme la confection du pain ou la récolte des olives selon la saison, ou encore un petit-déjeuner dans une ferme écologique. L’autre partie se déroule en ville, à Kyrenia ou Paphos » détaille-t-il. Les randonnées se font aussi à travers des paysages variés (montagne, mer, terre aride, forêt, maquis, garrigue…) et sont toujours ponctuées d’un petit « highlight », un point fort qui maintient la curiosité en éveil : un panorama, un monastère arménien, une gorge secrète ou un site antique oublié.
Du lever du soleil à l’heure du « raki » avec Houssem
Plus concrètement, comment se passe une journée guidée par Houssem ? « Je vais chercher les participants après le petit déjeuner. Puis, on part vers 8h30-8h45, et on commence la randonnée vers 9h-9h30 » explique-t-il. Les points de départ des itinéraires sont étudiés pour réduire les transferts en véhicule et optimiser le temps de marche sur les sentiers. Les randonnées, plus ou moins longues selon le circuit, sont ponctuées par des visites culturelles et un déjeuner pique-nique avec des produits locaux : « J’essaie de varier les pique-niques pour faire goûter aux voyageurs des saveurs chypriotes : fromage halloumi, pain frais, fruits, légumes… on dispatche le pique-nique, chacun porte un petit élément dans son sac. » Après le déjeuner, la randonnée se poursuit. Puis, place à la détente en fin d’après-midi. Les marcheurs profitent d’un moment libre avant de se retrouver pour l’apéritif et le dîner.
Selon les étapes, les repas du soir sont pris dans de petits restaurants locaux et tavernes animées ou préparés par des cuisinières locales maronites dans les guesthouses. Au menu : toujours des spécialités de l’île comme les saucisses sheftalia, le kleftiko (« l’agneau des voleurs ») cuit à l’origine dans un trou sous terre avec des braises, ou des pâtes maison au bouillon de poulet. Sans oublier en dessert, les figues au sirop, la mélasse de caroube ou de la pâte de sésame. « Il faut aussi tenir compte des végétariens » précise Houssem, soucieux de faire plaisir à chacun. Côté hébergements, les voyageurs alternent entre de petits hôtels en bord de mer à Kyrenia, pour des baignades bien méritées après la randonnée, et des maisons d’hôtes familiales dans des villages reculés comme à Kormacit ou Kaplaja.
Guide local : des compétences variées et bien plus qu’un métier !
Un passeur d’histoires et un lien privilégié avec les habitants
Pour Houssem, voyager avec un guide local change profondément le regard qu’on peut avoir sur une destination, au sens propre comme au figuré : « La perception d’un pays à travers ses propres yeux, même si on est très lettré, même si on a lu beaucoup de livres, même si on a un guide papier, elle est très différente de celle qu’on a avec un guide en personne. » Ce que Houssem transmet ou révèle, ce sont des traditions, des scènes de vie, mais aussi une sensibilité, des ressentis, des choses pas toujours visibles à l’œil nu. « Ce n’est pas une question de savoir, mais plus de vécu, on ne le lit pas, on le vit » évoque Houssem. D’autre part, le guide local possède un savoir qui est très orienté sur la perception visuelle : « Lorsqu’un guide vous montre sur place une statue romaine, une icône byzantine, une mosquée ottomane ou un élément du paysage et qu’il raconte son histoire, sa géologie, l’impact est bien plus fort, la perception de l’objet ou du lieu beaucoup plus grande dans l’esprit des voyageurs que s’ils étaient seuls ou avec un livre en main » détaille-t-il. C’est ainsi que Houssem parvient à transmettre, à partager aux voyageurs ses connaissances intimes des sites parcourus en toute authenticité dans la réalité du pays : « Ce que j’aime le plus, c’est leur faire découvrir des facettes de Chypre qu’ils ne soupçonnent pas, les petits secrets de l’île », loin des foules, hors des sentiers battus.
Patience, écoute et bienveillance
Pour instaurer une dynamique collective et une bonne ambiance, en véritable chef d’orchestre, Houssem doit savoir s’adapter aux différentes personnalités, composer avec les sensibilités de chacun : « Il faut une patience très poussée surtout avec un petit groupe où les personnes aiment bien être traitées individuellement » souligne-t-il. D’autant plus que chez Nomade, les groupes sont souvent intergénérationnels - et c’est ce qui fait leur richesse : « La destination de Chypre attire plutôt des personnes de plus de 60 ans, mais on a aussi accueilli une famille avec des enfants de 10 ans et des jeunes entre 20 et 40 ans. » Cela nécessite donc de s’adapter, d’être un peu caméléon. Pour que chacun y trouve son compte, Houssem ajuste en permanence son discours et le rythme du voyage : « Il faut toujours essayer de faire le grand écart en présentant nos informations selon la cible de personnes qu’on a en face. » Un bon guide doit faire preuve aussi d’un sens aigu de l’observation, en portant une attention toute particulière à chaque participant, de sorte de laisser à chacun la place de s’exprimer : « On est dans un tourisme participatif, interactif où j’incite les voyageurs à poser des questions ou à partager leur point de vue. » Enfin, il est aussi garant d’une bonne ambiance pour que tout le monde profite sereinement du voyage : « S’il n’y a pas de rigueur et de discipline, le groupe risque de se disperser, il faut trouver le juste équilibre entre poser un cadre et leur laisser parfois un peu d’espace et de temps » acquiesce Houssem.
Des imprévus, le sel du voyage d’aventure
Météo capricieuse, mer agitée, sentier fermé, route bloquée, panne de véhicule… Les imprévus font partie intégrante de l’aventure et pour ne pas être pris au dépourvu, le guide doit savoir y faire face : « On a toujours un plan B voire C, D, E… jusqu'à la fin de l'alphabet, j’ai toujours un programme en rescue » atteste Houssem. Grâce à sa parfaite connaissance du terrain, il sait rebondir pour trouver rapidement des solutions tout en préservant l’enthousiasme et la sécurité du groupe. Changer l’itinéraire d’une randonnée, trouver un autre restaurant, ou même improviser une baignade sur un autre site qui n’était pas prévu au programme : tout est possible, à condition d’avoir toujours un coup d’avance. L’aventure, c’est l’aventure !
La sensibilisation au respect de l’environnement
Houssem ne cache pas son inquiétude face à certaines dérives que le tourisme peut engendrer à Chypre : « Au sud de l’île, la région de Larnaca subit vraiment le tourisme de masse. C’est vraiment dommage car ce sont des lieux intéressants d’un point de vue culturel mais aussi naturel. » Tandis que sur la côte nord, près de Kyrenia, il déplore la privatisation de belles plages sauvages par de luxueux complexes hôteliers. Ces tristes constats le confortent dans sa volonté d’exercer un tourisme plus respectueux : « Le thème du tourisme durable et responsable est très important pour moi. C'est d'ailleurs ce qui m’a motivé à devenir guide pour Nomade Aventure, un voyagiste très engagé dans ce domaine. » » À Chypre, et en particulier au nord de l’île, où le système de recyclage est peu développé, il a mis en place des alternatives efficaces dans la lignée des actions déjà engagées par Nomade sur le sujet : « Pour éviter la consommation de bouteilles plastiques jetables, on a mis à disposition une bombonne d’eau de 19L avec une petite pompe électrique dans le véhicule et dans les hébergements, et je sers l’eau aux clients dans leurs gourdes » explique-t-il. Lors des pique-niques en randonnée, il refuse les ustensiles à usage unique et privilégie des plats en mélanine réutilisables, des fourchettes et des couteaux en métal. Et s’il reste des déchets ? Il les trie lui-même et les apporte dans un petit centre spécialisé. « Nous essayons de laisser le moins de traces possibles pendant les randonnées » conclue-t-il. Un thème omniprésent qu’il aborde dès l’accueil du groupe et tout au long du voyage.