« Le monde change, l’homme continue », affirmait Gaston Berger, inventeur de l’anthropologie prospective ou « science de l’Homme à venir » en 1955. Et si le voyage restait, lui aussi, une constante de demain ? À quoi ressemblerait-il d’ailleurs en 2075 ? C’est la réflexion que propose de mener Nomade Aventure à l’occasion de ses 50 ans, avec le site web participatif « Destination 2075 ». Autour de 7 thématiques, il réunit près de 30 contenus (interviews, nouvelles, articles, tables-rondes), tous exclusifs, de 21 contributeurs aux profils variés - parmi lesquels le plus grand aventurier des temps modernes (Mike Horn), l’éminent ancien conseiller d’un Président français (Jacques Attali), et le créateur de contenus le plus influent en France dans le domaine du voyage (Bruno Maltor). À l’initiative de cette idée, Fabrice Del Taglia, directeur général de Nomade Aventure. Lors d’une interview, il nous livre les coulisses du projet, ses origines et ambitions.
La genèse du projet
Pour célébrer un demi-siècle d’existence, Nomade Aventure a choisi de se projeter dans le futur plutôt que de revenir sur les grandes étapes de son histoire comme l’explique Fabrice : « Il y a 10 ans, pour les 40 ans de la marque, nous avions déjà un peu raconté l’histoire de Nomade dans un tiré à part du magazine Grands Reportages. Je me suis dit que ce regard rétrospectif risquait facilement d'être un peu trop nostalgique et nombriliste. Et donc si on ne fait pas les 50 dernières années, ça pouvait être intéressant de traiter les 50 prochaines. » C’est ainsi qu’est né « Destination 2075 », un site web où experts, écrivains et autres spécialistes ont imaginé le futur du voyage d’aventure autour de sept thématiques. Le choix de cet horizon temporel présente autant de défis que d’opportunités : « Certains experts ont refusé de participer et d'autres ont exprimé des grosses réserves à prétendre faire de la prospective, à coller des prévisions qui soient suffisamment étayées à une échéance aussi lointaine » alors qu’à contrario « c’est intéressant que cette date enjambe 2050, l’échéance de l’accord de Paris qu’on évoque souvent, ce qui laisse encore plus de liberté et d’imagination » renchérit Fabrice.
Au-delà de l’exercice intellectuel, ce projet illustre bien l’ADN de Nomade : un tour-opérateur tourné vers l’avenir, à l’écoute des évolutions et des tendances, qui n’hésite pas à prendre des risques, à susciter le débat, la réflexion voire la controverse, et cultivant un petit côté anticonformiste qu’on lui prête déjà : « Nomade est une marque de son temps, moderne malgré son âge, qui ne vit pas dans le passé, qui est jeune d’esprit, comme ses clients et qui fait les choses souvent avec humour et décontraction, sans esprit de sérieux. Ce n’est pas pour autant qu'il n'y a pas de fond, ni de réflexion », énonce Fabrice. Ce fut le cas depuis 2022 avec des newsletters envoyées aux clients à l’occasion du Black Friday promettant de brader des voyages telle une satire du consumérisme. Plus qu’une simple campagne de communication anniversaire, « Destination 2075 » incarne pour le voyagiste une façon de penser et surtout de réfléchir sur les pratiques de l’activité touristique, sur ses impacts environnementaux au long cours : « On est très engagés depuis au moins une quinzaine d'années dans une démarche de tourisme responsable. Réfléchir sur le voyage dans 50 ans, c'est dans le prolongement de cette démarche. Ici avec ce site, on n'a pas voulu être spécialement provocateur, ni susciter la controverse, mais ouvrir le débat ».
De la forme au service du fond
La métaphore de la capsule temporelle

Pour donner corps à ce projet, Nomade a choisi une image forte : celle d’une capsule temporelle comme le raconte Fabrice : « Cette capsule temporelle, c’est l’aboutissement graphique du concept du site. On est des habitants de la Terre, en 2025, qui parlons du futur, donc, d'une certaine manière, c’est comme si on envoyait un message d'antan à nos successeurs sur la manière dont on voyait aujourd'hui le voyage du futur. Du coup, virtuellement, les contenus sont une forme de messages pour le futur et ça, ça s’appelle une capsule temporelle. » Renfermant les différentes thématiques et contenus des contributeurs, cette capsule totalement stylisée, avec une lumière intégrée, s’ouvre en cliquant dessus en bas de la page d’accueil du site. Mais ce symbole n’est pas seulement digital : de vraies capsules temporelles ont été fabriquées et offertes à certains clients, collaborateurs et journalistes. Ils pourront y enfermer leur propre vision du tourisme, la cacher où ils le souhaitent afin de la rouvrir dans 50 ans.
Sept thématiques pour imaginer le voyage du futur

La réflexion s’articule autour de sept grandes thématiques. Certaines sont incontournables, « au cœur des problématiques que tout acteur du tourisme devrait se poser. » C’est le cas de « Mériter le lointain », qui interroge la légitimité du tourisme long-courrier avec les trajets en avion à l’heure du réchauffement climatique : « Si on abordait le sujet du futur du tourisme sans affronter cette question, ça aurait été parfaitement hypocrite », souligne Fabrice. D’autres reflètent l’ADN de Nomade Aventure, à l’image de « Terra (in)cognita », qui questionne la possibilité de voyager encore hors des sentiers battus (la baseline du tour-opérateur depuis de nombreuses années) dans un monde surexposé par les réseaux sociaux. « À bord de l’Arche de Noé » s’intéresse à l’avenir du tourisme animalier : « Chez nous, les safaris en Afrique représentent une part très importante de notre activité, le devenir de ce type de voyages est une question essentielle : est-ce que ça va pouvoir continuer, est-ce que c'est souhaitable, est-ce que ça peut aider à protéger la nature ? », se demande Fabrice. Tandis que « Les cartes redistribuées » ouvre sur des réflexions géopolitiques complexes : « C'est une thématique de 2025, des années actuelles, c'est-à-dire qu’elle reflète une période où on a à nouveau le sentiment que le monde se fracture en bloc, en conflit alors qu'il y a quelques années, le monde semblait se pacifier et s’ouvrir au voyage. C'est là où sans doute la prévision est la plus difficile à faire, car les évolutions géopolitiques sont déjà difficiles à faire à 10 ans ou à 20 ans. » Enfin, trois thématiques plus avant-gardistes et de niche - le tourisme sous-marin, spatial ou immobile (virtuel) - invitent à repousser toujours plus loin les frontières de l’exploration.
Des contenus aux genres très variés : nouvelles, tables rondes, interviews...
Pour donner vie à ces réflexions, dans chaque thématique, Fabrice a donné carte blanche aux experts comme il le mentionne : « sauf pour les écrivains où je souhaitais bien sûr qu’ils rédigent une nouvelle. Pour les autres experts, ça a été un mélange d’opportunités, d’envies, de discussions. Pour les besoins du site, certains étaient plus à l’aise dans un genre plus qu’un autre. » Quelques spécialistes reconnus dans leur domaine ont même pris le contre-pied de leur posture habituelle, en adoptant volontairement un angle plus imaginaire : « bien sûr connecté à leurs connaissances et leur vision du secteur, alors qu’à la base, ils ont plus l’habitude d’écrire des textes académiques, scientifiques, plus sérieux, voire presque pamphlétaires », raconte Fabrice. Une démarche qui, loin d’affaiblir le propos, lui donne une profondeur nouvelle : « Finalement, ce n’est pas forcément l'exercice dans lequel on les aurait imaginés, mais c'est une manière, je pense, pour certains experts, de contourner le risque d'asséner des pseudos certitudes techniques à une échéance qu'on ne maîtrise pas. En se situant dans un genre qui assume pleinement le côté imagination, ces contributeurs tempèrent ce risque-là », ajoute Fabrice. Résultat : récits, articles, interviews et tables rondes se côtoient, reflétant la pluralité des visions.
Des voix expertes pour nourrir la réflexion
Un casting varié et engagé
Pour composer ce panorama de contributeurs, Fabrice a contacté une trentaine de personnes : « Certains n’ont pas répondu, d’autres n’avaient pas le temps. J'ai peu de regrets, sauf quand même la disproportion hommes-femmes car j’ai eu un taux de refus des femmes beaucoup plus élevé », déplore-t-il. Finalement, une vingtaine de voix (dont 3 femmes) se sont réunies autour du projet, avec une grande diversité de profils : explorateurs (Mike Horn, Evrard Wendenbaum), astronautes (Michel Tognini, Jean-Pierre Haigneré), ingénieur/pilote de ligne (Gérard Feldzer), géographe (Rémy Knafou), guide naturaliste (Kris de Bardia), politologue (François Gemenne), écrivains (Julien Blanc-Gras, Laurent Genefort, Jean-Marc Ligny, Jacques Attali, Hubert Prolongeau), auteur (Thibault Labey), consultants (Justine Frédéric, Michel Messager), juriste (Marine Calmet), éthologue (Valérie Valton), océanographe (Jérémy Morizet), créateur de contenus (Bruno Maltor).
Un choix guidé non par la notoriété mais par la légitimité, comme le précise Fabrice : « Plus que leur popularité, je souhaitais des personnes qui soient expertes de leur domaine, qui soient légitimes à s’exprimer sur une ou plusieurs des thématiques. Ce ne sont pas forcément des gens connus, ou alors ils ne sont pas connus des mêmes personnes. Par exemple, dans les jeunes générations, beaucoup connaissent Bruno Maltor mais pas forcément Jacques Attali, ancien conseiller de François Mitterrand et grand écrivain. Alors que ma génération, on le connaît beaucoup plus. Jean-Pierre Haigneré ou Michel Tognini vont plus parler à des passionnés d’espace ».
Cette approche a permis de composer une mosaïque de regards complémentaires : « J’ai choisi les contributeurs d'abord dans l'esprit d'une pluralité de points de vue - variés, parfois opposés - qu'ils pouvaient avoir. Ils avaient une totale liberté d'expression, justement dans le but d'avoir souvent des contributions allant dans des directions différentes », résume-t-il. Un exemple frappant est la thématique sur le tourisme spatial (« Bons baisers de l’espace »), où cohabitent des opinions très contrastées : l’article de Michel Messager, consultant spécialisé dans ce domaine - qui considère cette forme de voyage « inévitable et même souhaitable, pour que la France et l’Europe rattrapent leur retard en la matière avant que les Américains, Chinois aient entièrement privatisé l’espace » -, et une table ronde réunissant deux anciens astronautes, Michel Tognini et Jean-Pierre Haigneré, beaucoup plus réservés, voire franchement hostiles à cela. Fabrice a lui-même apporté sa voix dans ce débat : « Mon propre texte, plus modeste, considère que probablement le tourisme spatial sera inéluctable à long terme, mais qu’on doit faire en sorte que cela se fasse de la manière la plus responsable possible, notamment en termes d’impacts environnementaux. En ce qui concerne Nomade, le ballon stratosphérique peut être une bonne piste ».
Enfin, Fabrice souligne le caractère parfois un peu pessimiste des contenus : « Exprimer une vision du tourisme en 2025 n'incite pas à l'optimisme. D'une façon générale, sur le plan environnemental, géopolitique ou démocratique, il faut bien reconnaître qu'on traverse une période un peu grise. Forcément ça rejaillit sur les contributions qui ont souvent cette tonalité un peu sombre ».
Des figures emblématiques en préface
Le projet s’ouvre en préface avec deux signatures de prestige : le premier Mike Horn en vidéo « C’était un idéal. Quand on s'appelle Nomade Aventure, faire s'exprimer le plus grand aventurier du monde, ça coule de source », se réjouit Fabrice. Jacques Attali, quant à lui, a répondu immédiatement à l’invitation : « Il a accepté de participer tout de suite en rédigeant un petit texte très inattendu, presque poétique et philosophique ». Sa contribution prend tout son sens dans ce projet, comme le souligne Fabrice : « Même si, au fond, ce qu’on fait ce n’est pas un travail de prospective rigoureuse au sens scientifique du terme, ça s’en rapproche. Et Jacques Attali, dans son œuvre de penseur, consacre une large part de ses ouvrages à de la prospective. » Grâce à son immense culture, il embrasse dans ses analyses des domaines très variés - de la géopolitique au climat en passant par l’environnement - sans se limiter à son ancrage d’économiste. « Et le futur du tourisme est précisément au croisement de tous ces sujets », rappelle Fabrice. Accessoirement, parmi son œuvre très abondante, Jacques Attali avait déjà consacré un livre au nomadisme et à la marche (« L’Homme nomade »), activité phare chez le voyagiste, ce qui rendait sa participation d’autant plus pertinente.
Une tribune ouverte qui invite à réfléchir, à débattre
Au-delà des contributions d’experts, le projet se veut participatif. Sur les sept thématiques, chaque visiteur du site est invité à donner son avis « en répondant à une question simple avec une hypothèse positive et une autre négative », puis à commenter en donnant son point de vue sur le sujet. « Notre idée, c’est d’apporter une pierre aux débats au pluriel, au débat sur l'avenir du tourisme en général et sur le voyage d'aventure en particulier », indique Fabrice avant de poursuivre : « Ce n’est pas un sondage au sens statistique du terme mais s’il y a beaucoup de participations, ça donnera quand même une orientation de ce que pensent les gens sur le futur du voyage. » À la clé, les participants peuvent ainsi remporter un bon d’achat de 15 000€ pour voyager avec Nomade Aventure. Cette dimension collaborative reflète une conviction : l’avenir ne se construit pas uniquement grâce aux prédictions des experts mais avec chacun d’entre nous. « Parce que c'est tout le monde qui a la charge du futur, dans tous les domaines que ce soit dans la politique, l'environnement ou la société… On peut éclairer le public ou l'aider à réfléchir en lui proposant des points de vue. Mais c'est à chacun de nous aussi d'imaginer, de rêver, de mettre en œuvre les futurs que l'on souhaite. Il y a une responsabilité individuelle vertueuse », décrit Fabrice. Le site devient ainsi une tribune ouverte où se croisent visions d’experts et celles du grand public.
Et après ?
« Destination 2075 » est pensé comme un projet vivant, évolutif, rythmé par plusieurs étapes. « Pour ce site à vocation événementielle, il va y avoir deux temps. Le premier, c’est sa phase de lancement à partir du 16 septembre 2025, qui va durer quelques mois. C’est la période pendant laquelle les internautes peuvent prendre connaissance des contenus, répondre aux questions et déposer leurs commentaires. Ensuite, le site restera probablement en ligne pendant environ 1 an, en fonction de l’audience, du trafic », énonce Fabrice. Mais l’aventure ne s’arrête pas là. Une publication imprimée est déjà envisagée pour début 2026 : « On pense à un recueil sous forme de livre, qui reprendrait les contributions des auteurs et peut-être celles des internautes, si cela intéresse un éditeur », commente Fabrice. Plus qu’un simple projet anniversaire, « Destination 2075 » s’inscrit comme le point de départ d’une réflexion au long cours. Car si Nomade Aventure célèbre ses 50 ans, c’est déjà vers les 50 prochaines années que se tourne son regard…



