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Fabrice, rêveur et catalyseur d’aventures

Le par

Fabrice Del Taglia sur l'île de Yakushima au Japon, septembre 2023 © Louisa Hendrich

Quand Marie Faure-Ambroise, alias @Mytraveldreams sur les réseaux, a proposé à Nomade Aventure d’être le tout premier partenaire de “Beau Voyage”, son podcast lancé au printemps 2023, Fabrice Del Taglia, le DG de Nomade, n’a pas hésité longtemps. Une série “où se mêlent le pratique et l’inspirationnel” et qui se fixe pour objectif de “de donner envie à chacun de partir à l’aventure” en partant “à la rencontre de voyageurs ordinaires aux aventures extraordinaires”, ça ne se refuse pas. Mais, quand il s’est agi de se prêter lui-même au jeu de l’interview, il a eu bien plus de mal à se laisser convaincre : le “personal branding”, très peu pour lui. Raconter sa vie, quel intérêt… Surtout quand on ne se prend pas pour un vrai aventurier. Mais comme c’était aussi l’occasion de parler de Nomade, de comment on y crée des voyages, des destinations à découvrir, il a fini par dire oui. Enregistré le 28 septembre 2023, cette interview d’1h10, ramenée à 50 mn, devient, le 6 octobre, le 15ème épisode de “Beau Voyage”, et est disponible sur toutes les plateformes (Ausha, Deezer, Spotify…). Le texte suivant constitue la retranscription de l’enregistrement intégral.

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Bonjour Fabrice.

Bonjour Marie.

Pouvez-vous vous présenter pour les gens qui ne vous connaissent pas?

Je suis directeur général de Nomade Aventure, un tour opérateur spécialisé dans le voyage d'aventure, depuis mai 2011. J'ai 55 ans, je suis marié et père de trois enfants.

Vous réalisez les voyages des autres?

Voilà, en tout cas, je dirige une entreprise qui réalise les voyages des autres, avec une large équipe de chefs de produits, de conseillers voyage, etc.

Et vous, c'est quoi votre premier souvenir de voyage?

Mon premier souvenir marquant, en tout cas, c'était à l'âge de 7 ans, dans ce qui était à l'époque la Yougoslavie, en 1975. Je suis issu d'un milieu d'enseignants, mes deux parents étaient profs, donc on avait de longues vacances, mais pas forcément de très gros budgets. On partait soit en camping, soit avec un organisme - qui a disparu récemment, il n'a pas survécu au Covid -, qui s'appelait Arvel, qui avait beaucoup de profs dans sa clientèle et qui faisait des voyages très authentiques. C'était un peu du Nomade avant l'heure, le sport en moins. Et avec notamment une dimension vraiment “hors des sentiers battus”. Et là, ce séjour dans l'ancienne Yougoslavie, c'était sur une petite île de Croatie. On logeait chez l'habitant. Je me rappelle jouer avec les petits enfants yougoslaves, qui ramassaient les scorpions dans les maisons et qui organisaient des courses de scorpions sur le port ! J’y ai aussi fait pour la première fois du kayak de mer, avec un vieux monsieur qui s'était pris d'affection pour moi et qui était un ancien grand résistant, Compagnon de la Libération et ancien chef de la résistance en Provence, Louis Blésy. Et puis, un autre souvenir encore plus insolite, c'est, avec mes parents, d'avoir croisé, un soir, sur la plage de cette petite île, un homme, seulement accompagné d'un garde du corps, et qui était… Tito, le président du pays, habillé en blanc comme à la télé. Voilà donc un voyage à la fois insolite, immersif et émaillé de rencontres étonnantes.

Et c'est ça qui vous a donné le goût du voyage, c'est le fait que vos parents vous embarquent comme ça, hors des sentiers battus, dans des aventures?

Oui, c'était à la fois les voyages de ce type faits avec mes parents, mais c'était aussi la curiosité et ce dont je me nourrissais, c'est-à-dire beaucoup de lectures, beaucoup de documentaires liés au voyage, à l'exploration. Quarante ou cinquante ans plus tard, j'ai encore dans l'oreille la voix du grand documentariste Daniel Costelle racontant la conquête des pôles ou les pionniers de l'aviation. J'avais pour livre de chevet, pendant des années, un livre que ma mère m'avait acheté et qui s'appelait « Grandes premières », qui racontait les premières grandes ascensions dans les Alpes, l'Everest, la conquête de la Lune, etc. Ou une encyclopédie qui s'appelait « Découvreurs et conquérants », là aussi sur les grands explorateurs, les grands découvreurs depuis l'Antiquité. J'étais très imprégné de lectures et de documentaires et ça me faisait énormément rêver à l'aventure et à l'exploration. C'était peut-être davantage ça, même, que les voyages réels. Et aujourd'hui, je suis resté un grand rêveur.  La plupart de mes idées de voyage commencent à la limite du rêve, de l'imagination.

Mais c'était quoi votre première grande aventure, ou exploration ?

Ma première grande aventure personnelle - ce n'est peut-être pas une exploration, encore que j’étais l’un des premiers occidentaux à le faire - c'était à l'âge de 11 ans. J'avais gagné un concours organisé par le magazine pour enfants « Pif Gadget » qui, en 1979, avait fait une série de numéros liés à l'envoi des sondes Pioneer 10, puis Voyager 1 et 2, qui allait explorer les planètes lointaines du système solaire, puis en sortir. Et donc aller potentiellement à la rencontre de civilisations extraterrestres. Ils avaient fait un concours sur ce thème, où il s'agissait de proposer un dossier de quelques images, accompagnées d'un texte, qui aurait pu être embarqué par une de ces sondes afin de faire découvrir et comprendre la Terre et ses habitants à des civilisations extraterrestres. L’espace c'était l'une de mes passions - j'en ai beaucoup, j'en ai trop.

C'est génial !

J'avais remporté ce concours et le premier prix, c'était un voyage d'une semaine en URSS - on est en 1980, donc c'est encore l'URSS - sur le thème de l'espace, sans mes parents.

Diplôme 1er prix remporté par Fabrice du concours Pif Gadget de 1980 présidé par Albert Ducrocq

Mais vous aviez quel âge quand vous êtes parti ?

J'avais 11 ans.

Tout seul ? Sans vos parents ?

Avec le rédacteur en chef de « Pif Gadget », mais sans mes parents, oui, bien sûr : c'était moi qui avait gagné. C’était un séjour d’une semaine, dont le point d'orgue était la visite de la Cité des Étoiles, la base d'entraînement des cosmonautes russes et des pays de la sphère soviétique de l'époque. C'était presque une exploration, car pratiquement aucun Occidental n'était rentré là à l'époque, ce n'était pas un site qui se visitait. Quand le président Mitterrand y est allé deux ans plus tard, on l'a présenté comme la première visite d'un Occidental, c’était donc un peu exagéré puisque j’y avais été avant lui. On nous avait fait rencontrer des cosmonautes russes, Pavel Popovich, le quatrième cosmonaute soviétique. J'étais aux anges, j'étais sur une autre planète, c'est le cas de le dire, pendant ces quelques jours.

Fabrice enfant avec le cosmonaute Pavel Popovitch à la Cité des Étoiles lors du voyage remporté en URSS en avril 1980

C'est extraordinaire.

Et 40 ans plus tard, j'ai recréé presque exactement le même voyage pour Nomade. Avec pratiquement les mêmes visites, dont certaines n'avaient pratiquement pas changé, et un itinéraire très proche. Un voyage qui a bien fonctionné jusqu'à ce qu'on doive le suspendre, pour les raisons qu'on imagine.

Visite de la maison-musée de Tsiolkovski à Kalouga en avril 1980 versus en octobre 2019

J'adore. Donc ça, c'était votre première grande aventure ?

C'était la première, en tout cas, sans mes parents. J'en ai eu une autre d'ailleurs un peu comparable, si j'ose dire, parce que c'était aussi à la suite d'un concours. Mais d'une autre nature : à 18 ans, j'ai été l'un des lauréats d'un concours qui s'appelle le Concours national de la résistance et de la déportation, qui est une sorte de concours général d'histoire, mais sur le thème précis de la résistance et de la période de la déportation. Et grâce à cela, j'ai fait un voyage, ou plutôt un pèlerinage, qui permettait de visiter les camps de concentration qui se situaient en ex-Allemagne de l'Est, Buchenvald et Dora. Ce qui est évidemment très marquant déjà dans l'absolu, mais ce qui l'était encore plus, c'était qu'on était accompagné par d'anciens déportés qui y avaient été et qui, du coup, pouvaient nous transmettre, raconter leur expérience. C'était évidemment très fort, très marquant, très émouvant. Et c'était en Allemagne de l'Est, avant la chute du mur.

Donc, il y a ces deux voyages. Et finalement, à quel moment-là, vous avez déjà 18 ans, vous vous dites que le voyage, ça va être votre métier ?

Non, c’est venu très tard. Récemment, en fait. Je n'ai, très lontemps, pas pensé faire du voyage mon métier. Déjà, parce que je n'ai jamais vraiment visualisé à cette époque les métiers auxquels ça pouvait être associé, je ne l'ai fait que beaucoup plus tard. Et puis finalement, c'était plus l'exploration que le voyage qui m'a toujours intéressé. D'ailleurs, aujourd'hui, c'est ce que j'essaie aussi d'introduire plus fortement chez Nomade Aventure. Donc, mon intérêt c'était l'exploration des terres émergées, mais aussi de l'espace. J'ai voulu être astronaute, archéologue, exobiologiste - ce qui, à l'époque, était un peu pointu : c'est l'étude des potentialités de la vie sur d'autres planètes que la Terre ! C'est devenu une discipline importante maintenant qu'on explore vraiment ça sur Mars et ailleurs. Mais à l'époque, c'était assez rare.

Vous auriez pu être prof, en fait. Vous auriez emmené les enfants avec vous, avec toutes ces histoires.

Oui, j'aurais peut-être aimé, mais la routine, je pense, du métier de prof ne m'aurait pas convenu. Après, être astronaute, j'y renonce parce qu'à l'époque, il fallait être pilote de chasse, en tout cas en France, pour devenir astronaute. Ça a changé, heureusement, depuis. Il y a des astronautes qui n'ont pas du tout suivi ce cursus, mais à l'époque, c'était le cas. Et ça, ça ne m'intéressait pas. Donc finalement, je m'intéressais à beaucoup de choses, peut-être à trop de choses. De ce point de vue, je suis né trop tard. À notre époque, il vaut mieux être monomaniaque et avoir une seule passion et la pousser à fond pour réussir.

Les gens aiment bien nous mettre des étiquettes, donc ils aiment bien savoir qu'on est comme ci ou comme ça.

C'est ça. Et moi, du coup, je m'intéressais à trop de choses pour être facilement étiqueté. J'étais passionné aussi bien de littérature, d'histoire, de sciences dures, d'aventures entrepreneuriales, etc. Donc finalement, alors que j'étais passionné par beaucoup de sciences, j'ai choisi l'aventure de l'entreprise - pas forcément l'aventure entrepreneuriale au sens de créer une entreprise – parce que je considérais, en tout cas à cette époque, que c'était l'entreprise qui réservait le plus de potentialités d'aventure, d'incertitude, de pari, d'échec, de réussite, etc. Davantage que des métiers à mes yeux plus routiniers, comme l'enseignement ou autre. Donc j'ai fait un cursus au début relativement banal : une prépa et une école de commerce. Après, déjà, ça bifurque un peu parce que j'étais aussi passionné de cinéma. Et pour travailler dans la production cinématographique, j'ai fait un DEA - ce qui est l'équivalent du Master 2 aujourd'hui - de cinéma et télévision. Ce qui m'a amené, dans les années 90, à travailler, notamment, pour un grand producteur de cinéma d'art et d'essai, Anatole Dauman, qui est mort depuis, et qui avait produit pendant 50 ans beaucoup de films très célèbres, qui a eu deux Palmes d'or, pour “Le Tambour” et “Paris Texas”, et d'autres films très célèbres.

Et c'est avec lui que vous vous retrouvez en Afrique à 25 ans ?

Alors non, ce n'est pas avec lui. Là, c'est juste à l'issue du DEA que je suis recruté par une boîte française qui distribue des films en Afrique noire francophone. Elle a le monopole de la distribution des films des “majors” américaines dans cette zone et elle distribue aussi des films français. Ils avaient des bureaux en Côte d'Ivoire, au Congo, au Sénégal, et ils me recrutent dans l'idée que je fasse mon service militaire en cooperation - ce qui ne sera finalement pas le cas - pour m'envoyer créer son agence à Bamako, au Mali. Et donc, je pars au Mali avec mon épouse - je venais de me marier. Une expérience aussi passionnante. Bamako, en 93, vient de se libérer du joug du dictateur qui le dirige depuis 25 ans, grâce à un coup d'état militaire à l'issue duquel les militaires rendront très rapidement le pouvoir aux civils. A l'époque, la démocratie progresse en Afrique. Et Bamako est encore assez peu développée. Donc, moi, mon job, c'est de louer des films à des salles de cinéma qui sont presque toutes en plein air. Donc, ils ne peuvent projeter des films que le soir, quand la nuit est suffisamment tombée. Alors, ils commencent en fin d'après-midi. Mais il y a encore du jour et donc ils pratiquent un tarif réduit, et réservé aux enfants… parce qu'ils ne projettent pas le film en entier ! Puis, une seule séance, en général, à 21h ou 22h, pour les adultes. Avec de vieux projecteurs antédiluviens fonctionnant sur groupe électrogène ! Et c'est vrai que le souvenir d'avoir vu, par exemple “2001, l'Odyssée de l'espace”, en Afrique, sous le ciel étoilé, dans une salle en plein air, c'est fascinant pour moi. Mais c'est aussi… un souvenir mitigé pour les spectateurs, qui s'attendaient à voir un film avec plus d'action et qui jetaient des pierres sur…

La toile ?

Non, il n'y a pas de toile. C'est un mur peint en blanc, donc ils peuvent jeter des pierres, ça n'abîme pas trop. Et cela, à chaque “fondu au noir” durant les dix premières minutes, et il y en a beaucoup ! Parce qu'ils pensaient que la bobine avait cassé. Et qu'ils s'ennuyaient quand même un petit peu. Mais pour moi, c'est vrai que c'était fascinant. Je fais aussi connaissance avec, je dois dire, le colonialisme et le racisme d’une bonne partie de la communauté française, pourtant petite, mais que j'ai du coup très peu fréquenté.

Ça, c'est votre première aventure en Afrique ?

C'est ma première aventure professionnelle en Afrique, qui dure quelques mois. Pas aussi longtemps qu'il était initialement prévu. Parce que malheureusement, je dois finalement rentrer faire mon service militaire en France. Ensuite arrive le premier enfant. Et là, clairement, le voyage disparaît un peu de mon horizon pendant une bonne dizaine d'années.

Et comment il réapparaît alors ?

Dans le cadre d'un autre job. J’ai d’abord travaillé dans la télévision par câble, et puis, au début des années 2000, je prends la direction marketing et commerciale d'une boîte de colonies de vacances et de séjours de vacances pour enfants à thème scientifique : Aventure Scientifique. Et puis ensuite, on a élargi à d'autres thèmes, mais toujours des colonies de vacances à thème, j’en ai créé des dizaines - certains qui se retrouvent d'ailleurs aujourd'hui chez Nomade - et on l’a rebaptisée Telligo - un jeu de mots avec l'intelligence, etc.

Si vous pouvez faire des colos chez Nomade, nous, on est OK. Il y a beaucoup de gens qui m'ont demandé : “où est-ce qu'on envoie nos enfants en colo ?” Si on peut avoir des colos Nomade Aventure, on est OK !

C'est un métier difficile parce qu'au-delà de la création de thèmes passionnants pour les enfants, la priorité reste leur sécurité, l'assurance pour les parents, etc. Il y a un cadre juridique très fort en France, et fort heureusement d'ailleurs. Donc, ce n'est pas mon projet de le développer pour Nomade. Mais à ma connaissance, Telligo reste un très bon organisme. Donc à cette époque, à Telligo, on a commencé à créer des voyages à thème scientifique à l'étranger. Et lors d'un voyage aux Galápagos que j'accompagne…

Une colo aux Galápagos ?

Une colo aux Galápagos, oui : il y a des enfants qui ont de la chance ! Une quinzaine d'enfants à qui leurs parents paient une colo scientifique aux Galápagos sur le thème des animaux et de la théorie de l'évolution. Parce que c'est grâce à son séjour aux îles Galápagos que Darwin aura, plus tard, l'essentiel des idées qui le conduiront à imaginer la théorie de l'évolution, en étudiant les différentes espèces de pinsons des Galápagos, qui se sont spécialisés sur chacune des îles en fonction des végétaux qu'ils pouvaient trouver, s'il y avait des coquilles dures et qu'il fallait des becs puissants, etc. On va aux Galápagos, on fait aussi des expériences de chimie moléculaire avec les ados, on observe les animaux… Et là, on se dit que ça passionnerait aussi des adultes et qu'on devrait peut-être développer des séjours tout public, sur ce genre de thème, notamment scientifiques. J'ai travaillé sur ce projet pendant un an, un an et demi. Puis arrive la crise financière de 2008-2009. La conjoncture paraît s'y prêter moins. Les synergies avec une activité de colo paraissent quand même peu évidentes, parce que c'est un savoir-faire différent. C'est fondamentalement un autre métier. On laisse tomber ce projet, mais c'est là que je commence à découvrir davantage le secteur du voyage à proprement parler, ses acteurs, ou du moins une partie de ses acteurs, et de commencer à songer à ce que, peut-être, ça pourrait être la suite de mon aventure professionnelle, sans avoir d'idées bien précises en la matière.

Et qu'est-ce qui se passe alors ?

Un jour, d'anciennes collaboratrices m'envoient une annonce, qu'elles ont vu passer sur Cadremploi et ailleurs, pour être directeur général de Nomade Aventure, et me disent en substance “compte tenu de tes passions, de ta personnalité, etc., c'est absolument fait pour toi, il faut absolument que tu répondes”. Moi j'étais très bien à Telligo, mais néanmoins c'est vrai que l'annonce m'intéresse, le job m'attire. Donc, je réponds, et je suis embauché quelques mois plus tard, et donc je change de voie.

Et pourquoi Nomade Aventure ? Qu'est-ce qu'elle a de différent des autres, cette agence ?

En toute franchise, quand je réponds à l'annonce, et quand je manifeste mon intérêt, c'est déjà le groupe auquel Nomade Aventure appartient depuis 2005 - que j'avais bien identifié en faisant mon étude - qui m'attire. Ce groupe, c'est Voyageurs du Monde. Lequel, par ses sociétés, par ses marques, par les valeurs qu'il affiche, qu'il revendique, qu'il défend, par son insolente santé financière, etc. est le seul qui m'attire à l'époque - et encore aujourd'hui, bien sûr - dans le voyage. Et aussi ses dirigeants, à la fois intelligents, charismatiques, mais vraiment remplis de valeurs qu'ils mettent réellement en application, qu'il s'agisse du partage de la valeur avec les salariés - qui est, je pense, unique dans le secteur -, ou qu'il s'agisse des engagements en matière de tourisme responsible - on y reviendra sans doute plus tard. À l'intérieur de ce groupe, j'ai la chance, finalement, que le poste à pouvoir soit chez Nomade, pas la plus grosse des entreprises, loin de là, mais la plus sympa de toutes. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est le président du groupe, Jean-François Rial, qui dit que c'est la boîte la plus sympa du secteur du tourisme en France.

Je suis d’accord.

Merci Marie. Alors, sympa pourquoi ? Peut-être déjà pour son style décontracté, on pourrait dire cool, pas formel, un peu humoristique. On a longtemps été les seuls, en tout cas, à se permettre d'avoir des titres décalés de voyages, d'avoir des styles de communication peu conformistes. On fait chaque année, par exemple, une newsletter pour le 1er avril, qui est en apparence très sérieuse, mais qui comporte toujours un canular derrière. On a par exemple raconté qu'on vendait le premier voyage touristique sur la Lune, le premier trek lunaire, mais en le faisant de façon très sérieuse : j'avais confié la rédaction à un planétologue qui a décrit un itinéraire totalement plausible !

Je suis sûre qu'il y a beaucoup de gens qui ont cliqué sur le titre.

Et certains ont cru que c'était vrai, en plus, parce que la date prévue est en 2029, donc ça pouvait paraître plausible qu'on le vende ! Le descriptif est extrêmement réaliste. Certains nous ont même reproché qu'on vende ce voyage, parce que le voyage sur la Lune, c'est émetteur de CO2, etc. Donc ils l'ont vraiment pris au sérieux. Mais on fait des canulars de toutes sortes. Donc un état d'esprit décalé, original, une vision de l'aventure, vraiment tournée vers “le voyage hors des sentiers battus”. C’est notre baseline aujourd'hui. Elle est banale, mais on essaie vraiment de s'y coller. Des valeurs aussi de respect envers les populations locales, d'intérêt pour avoir un tourisme responsable, peut-être avant même qu’on utilise cette expression.

En savoir plus sur Nomade Aventure, un voyagiste engagé

C'est vraiment aller vers l'autre, aller à la rencontre des populations locales.

D'une part, et puis c'est aussi aller au cœur de la nature, où on ne croise plus forcément beaucoup de populations locales, mais où on renoue vraiment avec le contact direct avec la nature, avec l'environnement.

Je me demande justement comment on crée des voyages, comment ça se passe votre métier ? Le matin, vous arrivez, il y a vos équipes, et vous dites : “cette année, on va monter un voyage, on part tous faire de la voile aux Galápagos ” ?

C'est pas aussi simple, mais c'est vrai que ça peut arriver, que d'arriver le matin et de dire à l'un de mes collaborateurs “voilà, il faut que tu crées un voyage là-dessus”. Après, de façon plus générale, il n'y a pas une seule manière, loin de là, de créer des voyages. Et puis, ça dépend du type de voyage que l'on crée. Mais déjà, d'une façon générale, moi, je défends l'idée qu’on doit partir de voyages qu'on a envie de faire soi-même ou qu'on aimerait faire découvrir aux autres - des fois, on peut ne pas avoir la capacité, physique par exemple, de le faire soi-même, mais avoir envie de le faire découvrir aux autres. Que globalement, on ne doit pas partir de ce que le public demande ou de ce qu'on pense qu'il demande. Pourquoi ? Parce que je pense que le public, en la matière, il ne demande pas grand chose qu'on ne lui ait déjà proposé ou suggéré. Il peut réagir, donner son approbation, manifester un intérêt ou un désintérêt pour quelque chose qu'on lui propose. Mais penser qu'il demande quelque chose de préalable sans aucune information, c'est un peu illusoire. Ou alors, quand on l'interroge, c'est une demande stéréotypée, issue de ce qu'il a déjà vu, donc qui existe déjà. Donc pour moi, le voyage, en tout cas chez Nomade, ça doit être ce qu'on appellerait une “économie de l'offre” et non pas une “économie de la demande”. C'est à nous d'offrir, c'est à nous de proposer ce qu'on trouve bien. Ça rencontre son public ou alors ça ne rencontre pas son public.

Ça peut se louper ?

Ça se loupe très souvent, bien sûr. Dans les nouveautés qu'on crée chaque année, la majorité n'est pas un succès. Ça ne veut pas dire que l'idée n'était pas bonne. Ça veut dire qu'on n'a pas réussi à trouver le public, qui peut exister, mais on n'a pas trouvé le moyen de l'atteindre. C'est très souvent le cas. Ou alors il faudrait des budgets de communication faramineux pour toucher tous les publics.

Vous pouvez nous donner un échec de l'année dernière ou pas ? Un cuisant ?

Un échec de l'année dernière ? Il y en a tellement. Là tout de suite, ça ne me vient pas. Je préfère garder en mémoire les succès.

Un truc qui marche, dont on a déjà parlé, par exemple, c'était le train. Raconte-nous comment le train est arrivé chez Nomade et où finalement, tout le monde était persuadé que ce n’était pas une bonne idée, alors qu’aujourd’hui c’est un carton.

Les voyages en train - ou plus précisément les voyages où on se rend train plutôt qu'en avion à destination, et non ceux qui se déroulent en train à destination, que nous avions déjà -, leur création chez Nomade relève à la fois de l'anecdote et du fond. L'anecdote, c'est qu'un jour, fin 2019, je suis invité à parler, sur le plateau de BFM Business, de notre action en matière d'absorption des émissions de CO2 de nos voyages. Je viens y vanter le fait que désormais, nous absorbons 100% des émissions liées au vol et à l'itinéraire à destination, l'itinéraire terrestre de nos clients. Nous les absorbons par le moyen du financement important de programmes de plantation de forêts, en l'occurrence principalement de mangroves, en Inde, en Indonésie, au Sénégal notamment, et qui visent donc à annuler - sur la durée, pas instantanément, bien sûr - les émissions de CO2 liées au voyage. C'est ce que nous faisons sur tout le groupe Voyageurs du Monde et c'est unique dans le secteur. Même aujourd'hui, à ma connaissance, car certains confrères absorbent les émissions à destination, mais elles sont évidemment dix fois plus faibles que celles liées au vol. Donc je vante ce programme - auquel je crois encore fermement, je pense qu'il n'y a pas d'alternative crédible à court terme - mais le journaliste me dit “plutôt qu'absorber des émissions, ce serait mieux de les réduire, non ?”. Je dis : “oui, mais comment ?”. Il me répond : “Par exemple, en prenant le train plutôt que l'avion”. Et je balaye en disant “oui, pourquoi pas, mais enfin, ça ne concernerait que l'Europe, ce n'est pas très important pour nous, etc.” Une réponse un peu de mauvais homme politique. Il ne me relance pas, il est sympa. Mais une fois l'interview terminée, je trouve effectivement que ma réponse est très mauvaise. Ce n'est pas parce que, certes, il faut absorber les émissions sur nos vols longs courriers, qu'on ne peut pas commencer par les réduire là où on peut, c'est-à-dire en Europe. Et donc, dès le lendemain matin, effectivement, je vais voir le directeur de notre département Europe et je lui dis “il faut qu'on décline tous nos voyages en Europe, ou en tout cas le maximum, en version train”. Donc, il y a zéro étude de marché. Je ne sais pas si ça va intéresser les gens. Je me dis juste : puisqu'on doit le faire, il faut le faire. Puisqu'on vante qu'on a une action résolue en matière de réduction des impacts négatifs que peut avoir notre activité, il faut aller jusqu'au bout. Puisqu'on explique à longueur de journée que la démarche, c'est “1. mesurer les émissions, 2. les réduire, 3. absorber le reliquat”, mais qu'on a zappé la case “les réduire” en pensant qu’on ne pouvait rien faire, eh bien, c'est un tort, il faut combler ça. Et puis, on verra bien si ça marche. L'avantage quand même, dans le tourisme, comparativement à d'autres secteurs d'activité, c'est que lancer un produit, c'est quand même assez peu coûteux. Ce n'est pas une recherche et développement comparable à lancer un produit de haute technologie ou même un produit industriel. Pour savoir si ça marche, le plus simple, c'est de le créer et de le proposer.

Et de voir si ça prend.

Ce n'est pas de faire une étude de marché qui va se fonder sur du déclaratif, etc. Le coût est suffisamment limité pour ça. Donc, il n'y a pas d'étude de marché, il y a juste une conviction que ça doit être proposé et que ce sera au client de choisir. Donc, l'accueil de mon interlocuteur n'est pas très enthousiaste parce qu’il n’est pas persuadé qu'il y a un débouché. Parce qu'à l'époque, on ne parle quand même pas beaucoup du train sur ce plan-là. On voit plutôt que le train, c'est plus cher que l'avion en Europe. Néamoins l’équipe Europe de Nomade s’y colle, bien sûr. Et l'offre est prête… à la veille du Covid. Donc, le timing est catastrophique, évidemment. Parce que ce n'est pas le bon moment pour voyager en general, mais c'est encore moins le bon moment pour voyager en train. Parce qu'évidemment, franchir des frontières successives avec des réglementations successives pour le Covid, et voyager en train avec un masque pendant de nombreuses heures, voire pendant deux jours, c'est quand même plus compliqué qu'en avion. Donc, pendant deux ans, on ne peut pas dire que cette offre fonctionne. Et puis en 2022, elle commence à rencontrer son public, puisque les conditions sont réunies. Elle est mise en lumière par différentes récompenses. Le premier “Trophée Horizons pour le tourisme durable”, en catégorie mobilité, puis le “Trophée de l'innovation du tourisme”, catégorie tourisme responsable, viennent récompenser cette offre, qui est la première en France à être aussi large. Il y avait quelques tour-opérateurs qui proposaient deux ou trois voyages comme ça, mais pas l'ensemble des destinations possibles.

Et c'est quoi le meilleur voyage en train aujourd'hui, si je pars avec vous ?

Le plus étonnant, c'est que le plus vendu, ça n'a pas été le plus simple. On se demandait : “quelle est la limite de complexité que les gens sont prêts à accepter pour voyager en train ?”.  On se disait que le plus évident, c’était l’Écosse : on part de Paris, on fait un changement à Londres, et ensuite, on traverse toute l'Angleterre, on en voit tous les paysages défiler et c'est magnifique ; on fait ça en une seule journée, on arrive presque en même temps que les gens qui sont partis en avion, et c'est confortable et très simple. Alors, certes, ça a très bien marché sur l'Ecosse, mais étonnamment, le trajet qu'on a le plus vendu, c'est pour aller en Albanie ! Qui était loin d'être le plus simple : on part de Paris, on arrive à Milan; à Milan, on change, on descend jusqu'à Bari. Là, on est obligé de descendre, on va à l'hôtel, on passe la nuit, on reprend un ferry le lendemain pour traverser la mer. On arrive dans un port, on doit reprendre un bus, etc. C’est deux jours de trajet à l'aller, un jour de plus au retour ! Donc, ça paraît quand même nettement plus compliqué que de faire un seul vol. Et pourtant c'est l'itinéraire qui a été le plus plébiscité. Comme quoi… Car l’intérêt de voyager en train en Europe, ce n’est pas seulement de moins émettre de CO2 - ce qui est le cas : entre 4 et 50 fois moins qu'en avion, selon le trajet (4 fois, c'est pour l'Albanie, par exemple, mais à cause de la partie en ferry qui est plus émettrice). Mais aussi de voir plus de paysages, d'arriver plus lentement à destination, donc s'imprégner plus profondément, plus lentement dans le voyage. C'est de ne pas être “téléporté”. C'est fascinant, c’est presque magique, d'être comme “téléporté” en avion, de partir dans les nuages à Paris, d'arriver sur les cocotiers quelques heures après. Mais c'est quand même un peu artificiel. Donc, cette immersion et puis le temps de lire, de flâner, de regarder les paysages, de jouer, de parler avec ses voisins. C'est aussi beaucoup plus confortable, il faut bien le dire, le train. L’avion, à part si on voyage en business, c'est quand même pas très confortable. Donc, le train a beaucoup d'avantages. On s'est rendu compte, d'ailleurs, en interrogeant les clients, que les motivations des clients qui ont choisi le train sont très diverses. Il y a toujours le fait de limiter ces émissions de CO2, mais il y a toujours au moins une autre motivation. La peur de l'avion, par exemple, auquel je n'avais même pas pensé parce qu'on n'y est pas confronté au quotidien. Nos clients, par définition, en général, ils sont assez peu nombreux à avoir peur de l'avion. Ou alors, peut-être, ceux qui voyagent en France, on ne le sait pas, ou ils se dominent. Mais c'est vrai qu'on n'était pas habitué à avoir des clients qui avaient peur de l'avion. Et là, on découvre qu’évidemment il y en a.

Découvrir les voyages A/R en train en Europe

Il paraît que sur 100 personnes qui montent dans un avion, 70 ressentent de l’appréhension

Oui, je comprends. C'est parfois mon cas aussi, en tout cas, pendant les trous d'air.

Moi, c'est toujours mon cas.

Ça peut m’arriver. Et c'est vrai qu'aujourd'hui, on a à peu près 20 % des clients qui voyagent en Europe continentale qui choisissent de le faire en train plutôt qu'en avion. Depuis, on a beaucoup développé cette offre.

Vous allez continuer de développer l'offre train ?

On la développe à la fois en termes de destinations et de types de voyages. On a, par exemple, ajouté la Grèce, ce qu'on n'avait pas voulu faire au début, parce que le parcours nous paraissait bien compliqué - la Grèce par le continent, pas en utilisant la mer. Et dès le début, on a des gens qui ont souscrit pour faire ça. Et puis on l'a aussi développé en sur mesure. En parallèle que nous lançions en début d'année une offre de voyages à vélo en Europe, tous nos itinéraires hors de France, que ce soit en Suisse, en Autriche ou dans des destinations encore plus lointaines, sont proposés en train. Les gens peuvent nous demander de le faire en avion s'ils le préfèrent; mais de base, on leur propose de se rendre à destination en train, ce qui nous paraît cohérent en plus avec le fait, à l'arrivée, d’enfourcher un vélo.

Comment on lance une nouvelle destination ? Comment, un jour, un nouveau pays apparaît dans votre offre ? Comment on fait ? Est-ce qu'il y a quelqu'un qui va sur place ? Je ne sais d’ailleurs pas s'il y en a des nouveaux encore à explorer…

En fait, des pays que les tour-opérateurs ne proposent pas, il y en a vraiment un très grand nombre. Je crois qu'il y a 195 pays à l'ONU. La plupart des tours opérateurs en proposent - et encore, ceux qui ne sont pas vraiment spécialisés - 70. Nous, ça doit être à peu près 110, quelque chose comme ça. On est peut-être le tour-opérateur qui propose le plus de destinations. Ce n'est pas extrêmement rationnel sur le plan économique, vu notre taille modeste. Mais ça part un peu des mêmes idées que ce que je disais auparavant. Si on estime que ça le mérite, il faut le faire. Après, notre job, c'est de réussir à intéresser les gens à ça.

Mais quand vous dites que ça le mérite, par exemple, un matin Yves arrive au bureau et dit « Je rêve qu'on emmène les gens… »… il faut que j'arrive à trouver un pays où vous n'allez pas… Au Bhoutan ! Vous allez au Bhoutan ?

On y va.

Bon disons « Je rêve qu'on emmène les gens à tel endroit. » Vous avez une discussion ?

Oui, bien sûr. On vérifie quand même si c'est faisable. Est-ce que ce n'est pas interdit par le ministère des affaires étrangères ? C’est la vérification est la plus simple : on va sur le site diplomatie.gouv.fr, on regarde les “conseils aux voyageurs”. Si c'est entièrement en rouge, donc “formellement déconseillé”, évidemment on ne l'envisage pas. Ou si c'est presque tout en rouge, un peu en orange. Mais ensuite, tout simplement, on regarde si ça paraît intéressant, si ça vient compléter d'autres propositions qu'on peut avoir, d'autres paysages, d'autres types de rencontres, d'autres populations. Si c'est injustement méconnu. Je vais vous prendre quelques exemples. On a été, je crois, le premier T.O à proposer le Salvador. Le Salvador, c'est un petit pays d'Amérique centrale qui pâtit encore aujourd'hui d'une mauvaise image liée d'abord à une guerre civile, qui est finie depuis 1992, mais qui a marqué les gens. Moi-même, quand j'étais enfant, ça m'avait marqué. C'est fini depuis très longtemps. Et ensuite, qui a été marqué beaucoup plus récemment par l'insécurité liée aux gangs. Mais cette insécurité, par exemple, a été jugulée par le tour de vis sévère du président actuel. Donc c'est un pays à la fois très préservé du tourisme, très authentique et sûr, où il y a à la fois des paysages intéressants, de forêts tropicales, des vestiges précolombiens, une population curieuse des visiteurs étrangers que personne ne propose parce que c'est compliqué. Or, c'est pour ça qu'on est . C'est compliqué donc on sert à quelque chose. Parce que proposer ce qu'il est simple de faire par ses propres moyens - aujourd'hui, mais encore plus à long terme, avec le développement d'Internet, etc. - c'est à la portée de n'importe quel voyageur. Donc on a lancé le Salvador et ça fonctionne bien, parce qu'avec cette logique, on attire aussi des voyageurs qui sont dans le même état d'esprit. Quand je disais tout à l'heure qu'on est une marque sympa, cool, décontractée, qui a de l'humour, etc., du coup, le fait d'avoir ce style de communication attire aussi à nous…

Des voyageurs cools.

Exactement. Moi, quand je suis arrivé à Nomade, l'un de mes confrères du groupe me disait qu’on avait les clients les plus sympas, parce que quand il y a un problème, ce sont les plus patients, les plus compréhensifs. Mais en fait, ça s'autonourrit parce qu'avec un style informel, on attire aussi des gens qui sont dans le même état d'esprit. Cette volonté aussi de défricher, d'être hors des sentiers battus, elle attire aussi à nous des gens qui sont eux-mêmes à la recherche de destinations moins évidentes, moins immédiatement attractives, mais qui recèlent un vrai intérêt. Le Salvador, par exemple, c'est ce type de raison. Sainte-Hélène aussi. Là aussi, on a été un peu les premiers, on est toujours le seul T.O. à le proposer, à part Ponant qui le propose sous forme de croisière. Sainte-Hélène, c'est tout simplement, pour moi, une référence culturelle : c'est l'île sur laquelle Napoléon a fini ses jours, où il a été exilé. C'était très difficile de le proposer pendant très longtemps parce que Sainte-Hélène, qui est en plein milieu de l'Atlantique Sud, n'était reliée que par un bateau qui mettait plusieurs jours pour faire la traversée. C'était vraiment très long et très pénible. Mais il s’y construisait un aéroport. Donc on s'est dit, dès qu'ils vont avoir ouvert un aéroport, il faut le proposer. Sainte-Hélène, ce n'est ni très connu, ni très demandé. C'est cher et compliqué. Mais il y a un intérêt pour le public français, c'est celui de l'exil de Napoléon. Et puis, par ailleurs, c'est un petit territoire très intéressant, volcanique, avec plusieurs microclimats, sur une île pourtant de taille modeste, etc. C'est un terrain passionnant.

On vole d'où pour aller là-bas ?

On vole d'Afrique du Sud. Donc on a un premier vol jusqu'en Afrique du Sud, puis une escale de ravitaillement de l'avion avant de faire la traversée, parce qu'il y a un seul avion qui peut faire la traversée. Et se poser sur l'île, sur un aéroport qui a été construit au bord de la falaise. Un avion à hélices.

Je suis déjà sous Xanax !

Oui, là je crois que vous pouvez prendre le Xanax, effectivement. Il n'y a jamais eu d'accident, mais c'est vrai que ça doit être un peu impressionnant. Plus récemment, j'ai décidé de lancer le Timor Oriental. Je ne sais pas si vous connaissez.

C'est en Indonésie ?

Oui, mais c'est un pays.

C'est drôle, on m’en a parlé hier.

Ce n'est pas en Indonésie, au sens du pays, puisque ça s'est détaché de l'Indonésie, justement, il y a 25 ans. Mais c'est vrai que 99,9% des Français ne savent même pas que ça existe, encore moins sauraient le situer. Donc c'est un défi, évidemment, de trouver un public pour le Timor-Oriental. Mais comment est née l'idée ? De ce moment où je lis, dans Le Monde, un article qui n'était pas du tout sur un angle touristique, mais qui parlait du développement de ce petit pays, effectivement enserré dans l'archipel indonésien, mais qui a un développement paisible, un îlot aussi de démocratie dans cette région du monde. Et évidemment, visité par presque personne, à part quelques Australiens. Après, évidemment, on s'assure que ça a un intérêt en se rendant sur place, on vérifie que c'est faisable, même si on est prêt souvent à beaucoup d'imagination pour le rendre faisable. Mais c'est beaucoup de lectures, beaucoup de documentaires ; c'est beaucoup l’idée que, “si ça n'existe pas, ce n'est pas parce que ça n'a pas d'intérêt, c'est parce que d'autres n'y ont pas pensé, ou alors qu'ils ont trouvé, à tort, que c'était trop compliqué”.

Vous, ça ne vous fait pas peur quand c'est trop compliqué ? Ça ne fait pas peur à vos voyageurs non plus, j'ai l'impression ?

Non, ça ne fait pas peur à nos voyageurs du tout, parce qu'on a tout fait, justement, pour rendre ça possible. Après, la difficulté qu'il peut y avoir, c'est de réussir à intéresser nos voyageurs à une destination à laquelle ils n'ont pas pensé. Donc là, évidemment, on trouve ensuite des moyens de faire mettre en lumière la destination en s'appuyant, par exemple, sur la presse. J'ai récemment financé le voyage d'un journaliste et d'un photographe du Figaro Magazine au Timor Oriental, qui feront paraître leur reportage en début d'année prochaine, pour, tout simplement, faire découvrir ce pays aux lecteurs et ainsi susciter la demande, donner l'envie. Et le plaisir, c'est que le journaliste que j'ai envoyé, qui est très expérimenté, qui a fait le tour du monde, que j'aurais pu penser blasé, dont je me demandais avec un peu d’appréhension “qu’est-ce qu'il va penser du Timor Oriental ? c'est un tout petit pays, est-ce qu'il va trouver ça suffisamment intéressant ?”, eh bien quand il est  revenu, il m’a dit que c'était à tomber par terre, qu’il avait ressenti des émotions qu’il n’avait pas eues depuis 30 ans. Parce que, justement, l'authenticité, notamment de la rencontre, était bien plus importante que ce qu'on peut avoir dans d'autres pays, tout en ayant beaucoup de richesses à faire découvrir sur place. Donc ça, c'est extrêmement rassurant. J'espère qu'il saura le traduire aux lecteurs et donc à nos voyageurs.

Et vous, vous partez où en vacances ?

C'est très varié. Cette année, je suis resté en France, quatre semaines. Parce que la France, c'est aussi génial. J'ai passé l'essentiel de mes vacances dans les Alpes, à randonner avec mes enfants dans les Alpes du Sud. Principalement dans mon jardin secret, la vallée de l'Ubaye, dans les Alpes de Haute-Provence. C'est pas très connu, mais c'est absolument génial. Évidemment, je voyage aussi beaucoup à l'étranger.

C'était quoi votre plus beau voyage ?

“Plus beau voyage”, je suis vraiment incapable d'en citer un seul. Ça dépend dans quel domaine. Le plus beau voyage en famille, c'était, juste avant le Covid, un voyage à Madagascar, un voyage Nomade aventure, bien sûr. Un voyage dans le nord de Madagascar, qui commence à Nosy Be et qui ensuite amène jusqu'au nord de Madagascar, à Diego Suarez. On va ensuite sur une petite île déserte - c'est une exclu Nomade - déserte au sens de totalement inhabitée, sur laquelle on campe - on bivouaque plus exactement. Sur cette île il y a un petit massif de tsingy - cette formation géologique assez caractéristique de Madagascar, des rochers très érodés, coupants, qui dessinent des canyons impénétrables -, une forêt tropicale dans laquelle vit le plus petit caméléon du monde, plus petit qu'un ongle, et qu'on a trouvé sur place. Bref, c'est un véritable petit paradis. Donc, c'est vrai qu’une telle aventure en famille - mon fils était tout petit, il avait quatre ans à ce moment-là….

C'est le rêve.

C'est le rêve. Après, à titre personnel, les sensations les plus fortes, c'est peut-être sur certains voyages véritablement d'exploration, qu'on propose également chez Nomade, notamment ceux avec l'aventurier et écologue français Évrard Wendenbaum à Madagascar et Sulawesi, que je les ai vécues.

Donc lui, c'est un explorateur. Son métier, c'est être explorateur ?

C'est un explorateur et un protecteur de l'environnement. En fait, c'est un explorateur au départ, mais qui se passionne tellement pour les zones qu'il explore que finalement, en général, il décide de faire en sorte d'essayer de contribuer à les protéger quand elles ne le sont pas déjà, ce qui est le cas des zones en question. Donc, il a été le premier à explorer de façon vraiment approfondie le massif du Makay, au sud-ouest de l'île de Madagascar. Qui n'est pas du tout un parc national, qui était d'ailleurs méconnu même des autorités nationales, que lui-même avait découvert en voyant des images d'un numéro d'Ushuaïa, mais dans lequel le massif était juste survolé, pas véritablement exploré de l'intérieur. Et il s'est mis en tête de l'explorer, ce qui est encore inachevé. C'est très grand et c'est un entrelac de canyons : vu des airs, ou vu des sommets, on dirait un peu un cerveau humain, tellement il y a de canyons. Et donc de l'explorer, puis de le protéger, parce que c'était un massif pas du tout protégé, et qui était menacé à la fois par les incendies, l'exploitation par les populations locales très pauvres, qu'il faut donc aider pour éviter qu'elles n'exploitent et ne détériorent le massif.

Et on peut partir avec lui ?

Oui, avec Evrard on propose une expédition une fois par an au coeur du Makay, dont l'itinéraire est légèrement modifié chaque année, et qui chaque année réserve une petite partie d'exploration authentique, parce qu'une fois de plus, le massif n'est pas du tout cartographié. On a, pour l'explorer, uniquement une photo satellite précise que nous fournit Google. C'est tout ce qu'on a, on n'a pas de carte. Photo satellite précise, mais pas assez pour être sûr de savoir si on passe. Donc chaque année, il y a une partie des étapes qui ne sont pas certaines, parce qu'on ne peut pas voir, sur la photo si, dans ce canyon, on va pouvoir passer. L'année où je l'ai fait, par exemple, on a pu passer, mais en rampant dans un boyau sombre, dans l'eau, à l'issue duquel on se retrouvait devant une falaise qu'on devait descendre en rappel… Pour moi là, je dépasse toutes mes limites. Je ne suis pas un grand aventurier. Je suis tout au plus un voyageur, mais je ne suis pas un grand aventurier, ni particulièrement courageux. Mais c'est vrai que derrière Évrard et compte tenu de l'enjeu, on dépasse quand même volontiers ses limites. Moi, je me pensais claustrophobe et ayant le vertige : certes, mais je l'ai fait ! Bon, d'abord, on n'a pas trop le choix. On ne peut pas vraiment reculer quand on est là, de toute façon. Et puis, l'enjeu de la découverte, là, pour le coup, mon rêve d'être explorateur, il trouve un peu à se réaliser.

Vous êtes combien dans ces groupes ?

Alors, on est 8-10 personnes, mais accompagnées, parce que c'est une expédition compliquée, par 50 porteurs.

50 ?!

50 porteurs, oui, parce qu'on est en autonomie totale pendant trois semaines. Donc, il faut tout emporter, la nourriture, le matériel, etc. Alors, les porteurs ne suivent pas le même parcours que nous, évidemment. Ils ne vont pas dans les boyaux compliqués. On les rate parfois, parce que nous-mêmes, si on ne peut pas avancer, eux arrivent au point de rendez-vous et nous, on n'y est pas. Ça s'est passé d'ailleurs sur l'expédition qui a eu lieu cette année. Donc, comme je vous le disais, l'année où on y était, on a réussi à passer, mais certaines années, non, ça ne passe pas. Il n'y a pas de boyaux. Donc, la journée est terminée. On bivouaque à la belle étoile. On rate les porteurs. On va les retrouver par un autre chemin le lendemain, etc.

Donc, avec vous, on peut partir avec Indiana Jones en vacances.

Effectivement, c'est vraiment le genre d'expédition où on se prend pour Indiana Jones. Moi, là, quand on croisait les porteurs, j'avais plutôt l'impression - parce qu'une fois de plus, j'ai beaucoup rêvé aux expéditions, aux explorations du temps passé - d'être avec David Livingstone, cherchant les sources du Nil avec des porteurs, etc. C'est vraiment une sensation unique. À Sulawesi, également, on a une expédition avec lui sur laquelle on a été probablement...

C'est où, Sulawesi ?

Alors, Sulawesi, c'est l'une des îles de l'archipel indonésien et que nous proposions depuis de nombreuses années, notamment pour la découverte d'une ethnie fascinante, les Toraja. Mais là, c'est dans une région presque inexplorée aussi, le massif de Matarombeo, un massif karstique. Le karst, c'est un massif calcaire très érodé dans lequel, du coup, l'eau s'engouffre directement sous terre, ressort en rivière, s'engouffre à nouveau, etc. Mais dans lequel il est extrêmement difficile de progresser à pied parce que, précisément, c'est très coupant. Donc on progresse très, très, très lentement. Je crois que je n'ai jamais progressé aussi lentement. Quelque part, à Sulawesi, la partie où on a progressé à pied, on a dû mettre une journée pour faire 3 km.

D'accord.

Parce que la progression est très compliquée par la végétation, les rochers, etc. Donc l'essentiel de la progression se fait en descendant la rivière qui le traverse en packraft, c'est-à-dire des petits rafts individuels. Pourquoi ? Parce qu'on doit pouvoir les dégonfler, les regonfler, les porter surtout, parce qu'on ne pourrait pas porter un raft dans le massif. Et cette exploration, on est probablement les premiers à l'avoir faite. Il faut dire que les populations locales, qui habitent assez loin, n'ont pas vraiment de raison non plus de…

De vous accueillir les bras ouverts ?

Non, non. Même de faire cette exploration, d'aller dans ce massif qu'on ne peut pas cultiver.

Ah oui, eux n'y vont pas non plus, vous voulez dire ?

Non, ils n'y vont pas non plus, ils n'ont pas vraiment de raison d'y aller. Donc voilà, là on est vraiment dans l'exploration, on est vraiment dans l'isolement le plus total. C'est un peu dangereux aussi, il y a une notion de risque. C'est l'un des voyages sur lesquels je mets des avertissements sur le risque que ça représente. Parce qu'en cas d'accident ou de difficulté, les secours n'arriveraient pas instantanément, c'est le moins que l'on puisse dire. Au milieu de la rivière, qui coule dans un canyon, on voit mal comment un hélicoptère pourrait venir. Descendre la rivière, ça reste très compliqué. Donc, on est quand même dans un haut niveau d'autonomie et de débrouille. Mais l'adrénaline qu'on ressent est incomparable. Puis on découvre une nature fascinante. Sur cette rivière, on a des hydrosaures qui traversent la rivière. Les hydrosaures, c'est des sortes de lézards qui se prélassent sur les branches au-dessus de la rivière, puis ils se laissent tomber devant vous, ils courent sur l'eau, ils vont tellement vite qu'ils marchent sur l'eau véritablement. Donc c'est un paysage et une faune dignes de King Kong ou de Jurassic Park.

C'est où, d'ailleurs, que vous avez vu votre plus beau paysage ?

C'est pareil : le plus beau paysage, c'est impossible d'en désigner un. Ce qui fait l'intérêt de la planète Terre, c'est plutôt la diversité fascinante de ses paysages.

Alors la plus grande émotion devant un paysage, c'est peut-être plus facile.

Oui, peut-être la plus grande émotion. Alors, ce n'est pas seulement le paysage, mais c'est plutôt la vision que j'ai eue, dont je me rappelle peut-être de plus, c'était il y a une dizaine d'années, sur un voyage Nomade au Botswana, en arrivant à Chobe, au nord du Botswana, au détour d'un virage du 4x4, soudain, devant nous, à perte de vue, plutôt à nos pieds, on a un paysage d'Arche de Noé, vraiment de naissance du monde, avec des centaines d'éléphants jusqu'à l'horizon. On est en fin de journée, et jusqu'à l'horizon, des éléphants, des girafes, des singes, des antilopes, toutes les espèces qui cohabitent jusqu'à perte de vue. C'est vraiment surréaliste.

L'Arche de Noé.

On pourrait dire le Roi Lion, c'est l'Arche de Noé, c'est tout ce que vous voulez. C'est le début du Roi Lion. Ça, vraiment, ça dépasse l'imagination. Je pense que sur le plan animalier, c'est l'image la plus marquante que j'ai jamais eue. En plus, elle était très soudaine. Même si on avait vu beaucoup d'animaux avant, mais là, cette densité jusqu'à l'horizon, jusqu'au coucher du soleil, c'était vraiment extraordinaire. Après, des paysages naturels ou humains, je pourrais en citer beaucoup d'autres. Le lac Baïkal gelé, dont j'ai fait la traversée en hiver. C'est aussi un paysage extraordinaire avec une étendue de glace qui ressemble à un cristal craquelé, des petits poissons ou crevettes qui sont figés dans la glace, des vagues ou l'écume qui est figée instantanément. C'est aussi un paysage fascinant. Le Salar d’Uyuni en Bolivie aussi. Le Machu Picchu, c'est un paysage humain, mais c'est vrai qu'on a beau l'avoir vu mille fois en photo ou en vidéo, se rendre compte, en étant sur place que c'est encore plus impressionnant que ce qu'on pouvait imaginer, par le site, par l'amplitude, etc. Et puis, accessoirement, j'ai fait ma demande en mariage à mon épouse au petit matin, à la Porte du Soleil, alors que le Machu Picchu était encore noyé dans le brouillard qui se déchirait progressivement. Donc, c'est vrai que c'est le paysage et puis c'est aussi le souvenir personnel. Voilà, même si finalement, à titre personnel, le paysage le plus cher à mon cœur, c'est celui du Vallon du Lauzanier, un petit vallon dans la vallée de l'Ubaye, avec une petite rivière qui serpente entre les Mélèzes.

C'est beau la France.

C'est beau la France. Et puis, les paysages, c'est aussi ce qu'on y met personnellement. Ce n'est pas forcément spectaculaire.

Et lors de tous ces voyages, vous avez déjà eu peur, des vrais peurs ?

Pas beaucoup, mais quand même un peu d'adrénaline ou d'appréhension. Peut-être au Zimbabwe, lors d'une descente en canoë du fleuve Zambèze, sur un petit canoë en bois où on circule au milieu des crocodiles et surtout des hippopotames. Les crocodiles, encore, ne font pas très peur, mais les hippopotames, vous le savez probablement, mais c'est de loin l'animal le plus dangereux en Afrique ; en tout cas, celui qui fait le plus de victimes - à part le moustique qui en fait beaucoup plus à cause des maladies qu’il inocule. C'est plusieurs milliers de décès par an en Afrique parce que, malgré son air patibulaire et le fait qu'il soit végétarien, c'est un animal qui défend son territoire férocement, qui est doté de quatre défenses vraiment terrifiantes. Quand il baille, ce n'est pas parce qu'il a sommeil, c'est pour vous montrer ses défenses. Et c'est vrai que naviguer sur le Zambèze, entre des îlots de sable au milieu des hippopotames, c'est un peu éprouvant pour les nerfs, surtout quand vous voyez plusieurs hippopotames et que tout d'un coup, ils se laissent disparaître sous l'eau. Vous vous dites “il va surgir devant mon canoë ou le renverser”. On était, avec mon épouse, accompagnés par un ranger du parc, armé “au cas où” ; et c’est vrai que quand vous entendez que, derrière vous, il a armé son fusil, vous vous dites “bon, peut-être que ça craint un peu quand même”. Mon épouse, quand on longeait des îlots, essayait de se raccrocher aux herbes sur le bord. Évidemment, tentative vaine de freiner notre progression. Donc oui, là, il y a un peu d'adrénaline. Mais ce sont de grands souvenirs.

Est ce qu'il y a un pays que vous avez adoré et dans lequel nous, on ne peut plus aller aujourd'hui ?

Oui, l'un des premiers voyages que j'ai fait avec Nomade Aventure, c'était avec ma fille, adolescente, au Venezuela. Un pays extraordinaire, là aussi. Pourquoi le Venezuela ? Notamment parce que, pour moi, c'était un pays de rêve quand j'étais ado, parce qu'au sud du Venezuela, il y a des hauts plateaux qu'on appelle les tepuys, qui ont été isolés du reste de la forêt par un effondrement géologique il y a très longtemps. Et qui ont très longtemps été inexplorés : la première fois qu'on est monté sur ces tepuys, c'était à peine dans les années 80. Et donc, on a imaginé, longtemps, qu'il pouvait y avoir des espèces inconnues au sommet. Ça, c'est typiquement le genre de choses qui me fascine. Est-ce qu'on pourrait découvrir des espèces ? Pourrait-on découvrir des dinosaures ? Longtemps, certains ont pensé qu'il pouvait encore y avoir des dinosaures et d'ailleurs, “Le Monde Perdu”, qui est le titre d'un des “Jurassic Park”, est aussi celui d'un roman du début du siècle, de Conan Doyle, qui se situe là-bas et qui imaginait qu'il y avait justement des dinosaures au sommet de ces tepuys. Donc moi, je voulais aller y voir depuis très, très longtemps. Du haut de l'un de ces tepuys tombe la plus haute chute d'eau du monde qui fait 900 mètres de haut, presque un kilomètre… D'ailleurs, l'eau, quand elle arrive en bas, ce n'est plus une chute d'eau, c'est un nuage. Après cette chute, on va dans le delta de l'Orénoque, l'un des plus grands deltas du monde, où on rencontre les Indiens Warao, où on se baigne dans l'Orénoque, alors même qu'il y a des caïmans et des piranhas, etc. Voilà, c'était un super voyage d'aventure. Malheureusement, le Venezuela a connu beaucoup de difficultés économiques qui ont entraîné une grande insécurité. Et, du fait de l'insécurité locale qui était longtemps cantonnée à Caracas, mais qui a eu tendance à se répandre dans une grande partie du pays, les voyages sont aujourd'hui quasi impossibles, ou en tout cas rendus très aléatoires. Malheureusement, on ne propose plus le Venezuela. J'espère qu'on pourra le refaire un jour.

On part où vivre l'aventure en famille alors l'été prochain (2024) ?

On peut partir dans beaucoup d'endroits. Après, si je dois prendre ma propre expérience, je recommanderais de faire le voyage à Madagascar que j'ai fait.

Vous nous l'avez bien vendu.

Et encore, c'est en-dessous de la réalité. C’est vraiment un très, très, très grand souvenir. C'est extrêmement varié. C'est la rencontre avec la population. Mon fils qui joue au foot dans le village avec des enfants, avec un ballon de foot fait avec du chiffon et tout ça, avec beaucoup de naturel, d'un accueil extraordinaire de la population locale. Les paysages, la faune, la population, enfin, tout est extraordinaire au nord de Madagascar, et à Madagascar en général. Voilà, après, je vous invite à aller découvrir les voyages en famille proposés par Nomade Aventure ou alors à vous faire concocter votre propre rêve de voyage par l'équipe de nos voyages sur mesure.

Quelles sont pour vous les destinations de demain, celles qu'on ne connaît pas encore, qu'on n'imagine même pas ?

Les destinations qu'on aimerait faire découvrir à nos voyageurs, j'en ai cité certaines qu'on a lancées plus ou moins récemment, comme le Salvador ou, par exemple, le Timor Oriental. J'aimerais citer aussi la Nouvelle-Calédonie, parce que c'est une destination dont on connaît le nom, mais c'est vrai que les Français en entendent parler depuis si longtemps, davantage sur des problématiques politiques - complètement légitimes et intéressantes – que, du coup, elle est moins envisagée comme destination touristique. Ou alors, elle l'est uniquement pour les voyages de noces. Or, c'est une destination de voyages d'aventure absolument fascinante, là aussi pour les paysages, pour la rencontre avec les populations locales. C'est une destination qui a énormément à offrir, un peu chère, bien sûr, parce qu'elle est très loin, mais qui devrait être majeure au même titre que la Polynésie, par exemple, pour nos voyageurs. À titre personnel, j'ai envie de citer le Gabon, même si nous n'y avons pas encore relancé notre offre de voyages. À titre personnel, parce que ma femme est gabonaise, donc ça m'a amené à découvrir ce pays. C'est une destination qui n'est proposée par personne, là aussi une destination advantage connue, peut-être, pour son histoire, des aspects politiques, etc. Or, elle a le potentiel d'être un véritable paradis de l'aventure.

On fait quoi là-bas au Gabon ?

C'est un pays qui est recouvert de forêts à 88 %, une forêt équatoriale extraordinaire qui possède une faune peut-être sans équivalent, avec un très grand nombre d'éléphants des forêts - des éléphants différents de ceux qu'on a dans d'autres pays d'Afrique, qui sont plus des éléphants de savane -, et des gorilles aussi. Quand on voit l'attrait de beaucoup de voyageurs pour aller voir les gorilles au Rwanda ou en Ouganda, et le prix très élevé qu'ils sont prêts à payer… Le Gabon compte de très nombreux gorilles - des gorilles des plaines et non pas des gorilles des montagnes - qu'on peut croiser de façon inopinée dans certains parcs. Il faut que le Gabon mène un travail aussi poussé que le Rwanda pour habituer certaines familles de gorilles à la présence de l'homme, pour garantir davantage la rencontre avec les gorilles, mais ça reste fascinant. Les parcs nationaux au Gabon vont souvent jusqu'à la mer, et c'est le seul endroit au monde où on a des hippopotames surfeurs, c'est comme ça qu'on les surnomme, c'est-à-dire des hippopotames qui sortent de la forêt et qui vont s'ébattre dans la mer. On a donc des plages sur lesquelles on peut avoir des hippopotames, des éléphants, des léopards, des buffles ! Sur le plan de la faune, c'est absolument incroyable. Sur le plan des populations locales, là aussi, non seulement les pygmées, mais aussi les traditions animistes de nombreuses ethnies sont extrêmement passionnantes. Pourtant, c'est un pays qui est totalement absent de la carte.

Pourquoi il n'est pas chez Nomade Aventure ?

Il l'a été, il ne l'est plus, parce qu'il faut aussi qu'on trouve des partenaires locaux fiables. Malgré tout, nous créons les voyages à Paris, mais nous les créons presque toujours en partenariat avec des partenaires locaux. Cette difficulté a été renforcée par le Covid, qui en a fait disparaître certains, qui a obligé certains à se reconvertir. On va reconstituer en partie un réseau de partenaires locaux fiables, solides, expérimentés. Le Gabon va faire son retour.

Au fil de vos voyages, pouvez-vous vous souvenir de votre plus belle rencontre ou l'une de vos plus belles rencontres ?

Il y a différentes natures de rencontres. Il y a une rencontre humaine, il y a aussi une rencontre avec les animaux. Dans les rencontres humaines, il y a aussi deux types, population locale ou pas. Peut-être dans les populations locales, la plus… je ne sais pas si c'est la plus belle, mais en tout cas, la plus insolite, c'est dans le nord de la Thaïlande, dans la partie au nord de Chiang Mai, où on va à la rencontre des ethnies venues du plateau tibétain en général, les Mong, les Karen, les Lao… Un jour, après un trek au milieu de la forêt, des sangsues, etc., on arrive dans un village. Et tandis que mes compagnons de voyage entament une partie de cartes, je vais me balader dans le village - je ne suis pas du tout cartes -, je m'assois sur un banc et une vieille dame en tenue traditionnelle, Lao, je crois, vient s'asseoir à côté de moi et essaie d'entamer la discussion. Évidemment, aucun de nous ne parle un seul mot de la langue de l'autre. Et pourtant, on a réussi à discuter, pendant peut-être une demi-heure, de notre vie. Elle m'a beaucoup interrogé sur est-ce que j'avais des enfants, est-ce que j'étais marié, etc. Et je ne sais pas comment on a fait, mais avec les gestes, les dessins, dans la poussière, au sol, etc. Je pense qu'on a réussi à se comprendre sur beaucoup de choses.

Peut-être mieux qu'avec des gens dont on parle la même langue parfois.

Et sans parler un seul mot véritablement. Et puis, voilà, une rencontre qui manifestait une curiosité mutuelle, sincère et désintéressée. Après, les rencontres sur nos voyages, c'est aussi des rencontres avec des personnalités. J'ai parlé d'Evrard aussi bien en tant qu'explorateur, qu'aventurier ou que défenseur de l'environnement. C'est une personne extraordinaire. Et d'ailleurs, sur nos voyages, on voit que, quand nos clients font un voyage avec lui, ils sont prêts à se réinscrire sur un autre voyage avec lui, où que ce soit.

Je prends déjà deux places pour l'année prochaine.

Je vous fais signer tout à l'heure le bon de commande. Je pourrais aussi citer les astronautes que j'ai rencontrés. L'une de mes passions, c'est la conquête spatiale. Depuis toujours, depuis enfant. J'ai lancé chez Nomade Aventure une petite gamme de voyages sur le thème de l'espace. On est les seuls en France, peut-être au monde, à avoir une gamme de voyages sur ce thème. On a été récompensé pour ça avec un “Trophée de l'innovation”. On avait un voyage en Russie, aux États-Unis, en Guyane. Et ces voyages sont toujours accompagnés par d'anciens astronautes français. Et en Russie, en Guyane, par exemple, par le grand astronaute Jean-Pierre Haigneré, qui a longtemps été, avant Thomas Pesquet, le recordman de durée dans l'espace pour un français. Et c'est aussi un personnage extraordinaire. On ne se rend pas compte que les astronautes ce sont de grands aventuriers, parce que l'espace reste un milieu extrêmement hostile, extrêmement dangereux, nécessitant un très long entraînement. Et pourtant, ce sont des gens modestes et qui ont énormément de choses à raconter.

Fabrice avec l'astronaute J-P Haigneré, à bord d'une capsule Soyouz à l'usine RKK Energia, octobre 2019

Après, je pourrais citer une rencontre animalière aussi. C'était au Zimbabwe, que j'ai cité tout à l'heure, avec un éléphant. Un soir, avec ma femme, on monte notre tente et puis tout d'un coup, je vois arriver un éléphant, qu’on n’avait pas du tout entendu arriver, juste derrière elle, il s'est arrêté deux mètres derrière elle. Donc, je lui dis de reculer prudemment. On se met à l'abri et puis on se rend compte qu'il était venu essayer de trouver à manger sur notre petit camp parce qu'il lui manquait une défense. Il s'était probablement battu quelques jours auparavant. Il était blessé, donc il ne sortait plus en forêt. Et donc, il essayait de grappiller de la nourriture sur notre petit campement. On y est resté quelques jours, on s'est attaché à lui, on l'a même baptisé Muchengueti : ça voulait dire “le gardien”, on estimait que c'était le gardien de notre camp. Et ensuite, j'ai créé un voyage sur ce thème, À la rencontre de Muchengueti” pour aller au Zimbabwe, dans le parc national de Matusadona.

Rencontre avec l'éléphant baptisé Muchengueti dans le parc national de Matusadona au Zimbabwe

Comment est-ce qu'on va voyager demain? Comment est-ce qu'on va pouvoir continuer à vivre des expériences un peu folles sans abîmer notre planète ?

En fait, il y a un sous-entendu dans votre question. C'est plus qu'un sous-entendu, c'est que l'affirmation que voyager pourrait abîmer la planète. Moi, je voudrais plutôt insister sur le fait que le tourisme protège aussi la planète. Pendant le Covid, notamment pendant les premiers confinements, on a beaucoup vu à la télé ou dans les journaux des images qui tendaient à montrer que, “grâce au Covid”, si l'on pouvait dire, ou grâce à l'absence de touristes, la nature “reprenait ses droits”. Les baleines revenaient s'ébattre au large de Marseille ou dans le golfe de Thaïlande. Ça, c'était la version positive. La version négative, qu'on n'a pas montrée, faute d'image, c'était que, par exemple, en Afrique, pas de touristes veut dire pas de revenus; pas de revenus, pas de salaire pour les rangers; pas de rangers, braconnage. Et donc, à nouveau, la nature menacée. Comme le disait le guide que j'ai eu sur un voyage au Costa Rica l'année dernière, “il n'y a pas d'écologie sans économie”. Pour les populations locales en particulier. Or, à destination, soit on a une économie du tourisme, du voyage, une économie raisonnée et protectrice localement, soit une autre économie, une autre manière d'exploiter les ressources locales, se met inévitablement en place. A Sulawesi, par exemple, là où nous faisons le voyage, Evrard se bat non seulement pour faire protéger, classer une partie du massif, mais aussi pour développer une forme d'écotourisme dans la baie sur laquelle on finit le voyage. Soit une forme d'écotourisme va se développer et rapporter quelques revenus, soit l'industrie d'extraction du nickel, ou les plantations de palmiers à huile, se développeront et détruiront tout, tout aussi irrémédiablement. Donc, à nos yeux, il n'y a pas de doute : le tourisme aide aussi à protéger la planète. Pas à n'importe quelles conditions, pas en le faisant n'importe comment, bien sûr. Et c'est pour ça qu'il faut aussi bien choisir son voyage et son voyagiste naturellement. Mais c'est absolument essentiel. Après, évidemment, il reste que le voyage, le voyage long courrier émet du CO2 du fait de l'utilisation des avions. Alors d'abord, il y a beaucoup de progrès qui sont réalisés en la matière. Je ne veux pas être angélique, mais c'est vrai que la modernisation des flottes d'appareils et le développement des carburants durables d'aviation, notamment, diminuent de façon significative les émissions des avions par rapport à il y a 10 ou 20 ans. Néanmoins, c'est vrai que, dans le même temps, le trafic s'accroît. Le problème reste entier. C'est pour cela que, depuis de nombreuses années, nous absorbons, en plantant de la mangrove, les émissions résiduelles. Néanmoins, même un spécialiste comme François Gemmene, qui est l'un des co-auteurs du GIEC et qui, aussi bien sur les plateaux télé qu'auprès des pouvoirs publics, n'a de cesse d'alerter sur les lenteurs de mise en œuvre de plans pour lutter contre le changement climatique, lui-même souligne que toutes les activités humaines émettent des gaz à effet de serre. Et que ce qu'il faut faire, c'est aussi s'interroger sur l'utilité sociale de chaque activité et que, à ses yeux - ça lui appartient, mais évidemment, je partage ce point de vue - le voyage, et donc aussi les vols long courier, font partie des activités humaines qui ont l'utilité sociale qui méritent le plus de s'accorder une dépense en CO2. Une fois de plus, ça ne veut pas dire n'importe comment. Ça ne veut pas dire “sans l'absorber”. Ça ne veut pas dire “sans faire le maximum d'efforts pour le limiter, le réduire, etc”. Mais malgré tout, le simple repli sur nous-mêmes – “l’Europe c'est magnifique, la France c’est super, ce n'est pas la peine d'aller loin pour les mêmes paysages, etc.” - c'est une vision plus que naïve à mes yeux. Elle ne voit vraiment le problème que par le petit bout de la lorgniette, en oubliant les bénéfices du voyage sur beaucoup d'autres aspects.

Merci beaucoup Fabrice. A bientôt.

Merci Marie.

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